A l’heure de l’exhibition numérique, les millenials encouragés par les messages des cliniques spécialisées sur les réseaux sociaux, font de plus en plus appel aux injections et au bistouri. Stéphanie Mareau, journaliste à l’Express, a interviewé sur ce thème brûlant Tracy Cohen, la directrice de la Clinique de la Clinique des Champs-Elysées.
L’étude a été dévoilée avec fracas en février dernier, à l’occasion de l’Imcas, le congrès international consacré à la chirurgie et à la médecine esthétiques : le nombre d’interventions dans ce secteur est pour la première fois plus important sur les 18 – 34 ans que sur les 50 – 60 ans. Les millenials pointent désormais en deuxième position du classement des populations le plus attirées par les retouches esthétiques, juste derrière les 35 – 50 ans. Creuser des joues, affiner des cuisses ou combler les plis des sillons nasogéniens ne sont plus des caprices réservés aux quinquas aisés. A l’ère de l’exhibition numérique, les interventions esthétiques s’imposent tranquillement dans les routines de beauté entre le coiffeur et la manucure.
Il suffit de patienter quelques instants dans la salle d’attente de la Clinique des Champs-Elysées, le principal établissement français du secteur, pour le constater. 70 chirurgiens s’y relaient, répartis sur cinq étages. Ils offrent souvent le bilan, c’est-à-dire la première consultation, aux moins de 25 ans. En 2011, à peine 10% des patients de cette clinique avaient moins de 35 ans. Huit ans plus tard, plus de 50% des patients ont entre 18 et 35 ans, dont 10% ont moins de 25 ans.
La tyrannie des smartphones
Dans un décor de boudoir, des jeunes femmes très maquillées, cheveux lisses et sac griffé sur les genoux, s’observent sur leur écran en mode selfie. Escarpins à pompons, lèvres gonflées, elles évaluent l’ampleur des retouches à effectuer pour ressembler dans la vraie vie à leurs versions embellies générées par les « filtres » qui gomment les imperfections, lissent la peau, agrandissent les yeux et gonflent les lèvres.
Car la plupart des jeunes patients ne viennent que pour cela : corriger des détails. L’émergence, depuis quelques années, de techniques peu invasives a popularisé la médecine esthétique – au détriment de la chirurgie. Injections, lasers, ondes magnétiques, cryolipolyse …. « Nous recevons 4000 patients par mois, dont seulement 500 qui se font opérer, explique Tracy Cohen, 33 ans, directrice de l’établissement.
Instagram et Snapchat sont devenus un formidable terrain de recrutement de nouveaux clients. Tracy Cohen, formée à l’université Paris – Dauphine, et qui travaillait chez Rothschild avant de plaquer la finance pour prendre la tête, en 2011, de la clinique cofondée par son père, en joue mieux que quiconque : elle poste des vidéos quotidiennes où on la voit prendre un café avec l’animatrice Daphné Bürki, défiler dans les couloirs de la clinique avec un mannequin, « liker » les messages de Nabila ou de ses avatars...
Cinq personnes s’occupent à plein temps du compte Instagram de la clinique des Champs-Elysées. Une partie de leur travail consiste à reposter les « stories » publiées après leur passage par des patients célèbres sur le réseau favori des 16 – 25 ans. Et Dieu sait qu’elles sont nombreuses, les stars de la télé-réalité, à remplir les salles d’attente des cliniques.
Le rôle des influenceurs
La plupart des gros influenceurs sont coachés par Magali Berdah, la fondatrice de la société Shauna Events, également chroniqueuse de l’émission de Cyril Hanouna, TPMP, sur C8. Sous contrat avec « 120 talents », c’est elle qui a un jour appelé Tracy Cohen : « Des filles de mon agence font des soins chez vous, on se rencontre ? »
Les deux femmes sont devenues amies et ont manifestement fait affaire. « Je ne fais aucun placement de produit, aucun partenariat avec les agences de communication, je ne démarche pas, assure toutefois Tracy Cohen. Mais, bien sûr, quelqu’un qui a 1 million d’abonnés et qui parle de la clinique a une réduction... » C’est le cas de la blonde Jessica Thivenin (Les Marseillais), « people » la plus bankable d’Instagram avec 4,4 millions d’abonnés. A 29 ans, elle engendrerait plus de 20 000 euros de posts publicitaires par mois. Une véritable « machine de guerre », selon Magali Berdah.
Un Business rentable
En février 2017, Jessica Thivenin adepte du « Vampire Lift » (une technique de rajeunissement à base d’injections sanguines) publiait sur Instagram une photo d’elle prise dans les couloirs de l’établissement avec le message suivent : « Super contente, comme d’habitude, je suis ravie de tous les conseils et toutes les réponses à mes questions. »
Elle n’est la seule à vanter les soins de l’établissement parisien sur Snapchat (où un post sponsorisé lui rapporte plus de 1 000 euros). Shanna Kress, ancienne candidate des Anges, a aussi lancé il y a quelques mois un code promo, Shanna, donnant le droit à une consultation dans la même clinique.
De la publicité théoriquement illicite, ce que n’ignore pas Tracy Cohen. « On demande aux influenceurs de ne pas donner de code promo, mais certains le font... » réplique-t-elle, souriante. La directrice sait aussi qu’il est très difficile de prouver l’infraction puisque les « stories » ne sont visibles sur Snapchat que durant vingt-quatre heures, avant de s’effacer. En ligne aussi, le salut est dans le lifting.
Dans le même temps, les laboratoires attisent cette frénésie de la retouche en stimulant l’offre. « Nous changeons les machines tous les trois mois pour coller à la demande de nos patients » concède Tracy Cohen, qui a même lancé le « Campus Champs-Elysées », afin de former les médecins au maniement des machines et au dosage des solutions injectables.
Un business rentable, de toute évidence, pour celle qui s’apprête à ouvrir une nouvelle clinique à Lille : « Les labos travaillent avec nous pour lancer leur matériel, nous sommes prescripteurs. Et nous communiquons chaque fois que nous avons une nouvelle machine. » Cet équipement dernier cri a permis à la clinique d’être choisie comme cadre de l’émission de relooking extrême « Incroyables transformations » sur M6. Une manne est née.