Les dangers du tourisme médical dans le domaine de la chirurgie esthétique
Le tourisme médical est un phénomène en augmentation. « Il y a 10 ans, il n’y avait encore que cinq ou six destinations proposant des soins aux étrangers, indique Jonathan Edelheit, qui dirige la Medical Tourism Association, une association américaine qui œuvre pour la qualité et la transparence en matière de soins dans le tourisme médical. Aujourd’hui, il y en a plus de 100. »
La chirurgie esthétique mondialisée ne connaît pas de loi
« Surtout depuis 2018, explique Tracy Cohen, la directrice de la Clinique des Champs-Elysées, des structures étrangères situées en Tunisie, en Turquie et ailleurs font de la publicité très agressive sur le marché français. Or, En France, il est interdit aux cliniques de chirurgie esthétique de communiquer sous peine de fermeture de l'établissement par l'Agence Régionale de la Santé (ARS). Cette réglementation fait naître de facto une concurrence déloyale. »
Le prix reste leur principal argument, les économies pouvant atteindre 70 à 90%.
« C'est devenu une industrie, de l'abattage. Les starlettes sont sans cesse démarchées par des agences de tourisme médical en Tunisie, qui en échange d'une liposuccion ou d'implants mammaires, exigent en retour, un coup de projecteur sur leurs réseaux sociaux », dénonce le youtubeur Sam Zirah.
« Si les petites célébrités, suivies par 20 000 à 400 000 abonnés, ont le droit à une intervention, ce business va beaucoup plus loin. Certaines sont même payées pour se faire opérer ou faire un soin », dévoile Sam Zirah.
Des blogueurs et youtubeurs sont aussi invités à accompagner les candidats de téléréalité et à les filmer lors des interventions. Sam Zirah, qui a tourné deux vidéos il y a deux ans, le regrette amèrement. « Ils m'ont carrément proposé un fixe mensuel. Ils me disaient : envoie-nous des candidates tous les mois, comme si c'était un casting pour obtenir un effet boule de neige auprès des fans. Ils répétaient, on tourne à 15 -30 Françaises opérées par mois, mais il nous en faut 100 à 150 », révèle-t-il.
Le tourisme médical n’est pas sans risques
La gestion post-opératoire des opérations réalisées à l’étranger laisse souvent à désirer. « Le patient n’a pas souvent droit à des consultations de suivi », relève Jonathan Edelheit. La durée moyenne du séjour hospitalier excède rarement les quelques jours.
En cas de complication ou d’erreur médicale, les possibilités pour obtenir réparation sont ténues. « Le patient se retrouve souvent seul : la clinique qui l’a traité se décharge de son cas et son médecin habituel ne veut pas entendre parler des complications survenues à l’étranger », détaille Keith Pollard, l’éditeur du site Treatment Abroad et du magazine International Medical Travel Journal.
Le modèle de soins du « tourisme médical » en soi peut être un facteur de risque : les consultations préopératoires pourraient être jugées inadéquates selon nos normes nationales, avec un délai de réflexion insuffisant. Les suivis postopératoires sont limités à une courte période de temps.
De plus, vu que le patient passe son temps de récupération postopératoire dans son lieu de vacances, les moments de loisir sont un risque supplémentaire pour des complications : consommation de tabac, bains de soleil, randonnées pédestres et autres activités touristiques.
Les longs déplacements en avion ou par la route, avant ou après l’intervention chirurgicale prédisposent à des risques supplémentaires, notamment des événements thromboemboliques qui peuvent être fatals.
Une augmentation des prises en charges des patients opérés à l’étranger
De plus en plus de professionnels de la chirurgie esthétique constatent une augmentation de demande de prise en charge des patients opérés à l’étranger.
En Grande-Bretagne, un sondage auprès des membres de l’Association des chirurgiens esthétiques a montré que 37% d’entre eux avaient traité des patients avec des complications suite à une opération réalisée à l’étranger.
Un chirurgien esthétique belge témoigne : « Les patients sont toujours plus nombreux à nous appeler pour s’assurer que leur opération s’est bien déroulée, pour être informé sur leur convalescence ou pour rattraper les erreurs de chirurgiens étrangers. Si les destinations offrent un cadre idyllique et des prix réduits, les patients ne sont pas suffisamment informés avant l’opération et certaines obligations – comme l’âge, les allergies ou la limite de poids – ne sont pas respectées... Mais le pire, ces opérés n’ont ensuite aucun suivi postopératoire ! »
« Les patients sont renvoyés chez eux avec quelques conseils et sont ensuite démunis une fois qu’ils reviennent en Belgique. Je reçois ainsi des personnes avec des infections ou des douleurs persistantes. J’ai aussi aidé une adolescente qui avait subi une augmentation mammaire en Turquie alors que sa poitrine n’était pas encore totalement formée. Les risques pris par ces touristes médicaux sont totalement inconsidérés ! » continue-t-il.
Une étude suisse publiée dans le numéro d’août 2019 des Annales de Chirurgie Plastique Esthétique révèle que sur une période de deux ans, 26 patientes ont été hospitalisées pour le traitement de complications aiguës suite à une chirurgie mammaire. L’âge moyen de ces femmes est de 40 ans. Dix d’entre elles ont été opérées en Afrique du Nord, 8 en Europe, 7 en Amérique latine, 1 aux États-Unis. Parmi les pays concernés, la Tunisie est la destination principale (8 cas) et les opérations ont pour la plupart (70 %) consisté en la pose de prothèses mammaires.
Tracy Cohen conclut : « C'est dommage de ne pas pouvoir faire savoir aux patients la qualité et la sécurité des cliniques de chirurgie esthétique en France qui sont parmi les plus réglementées et les plus contrôlées dans le monde. Dans notre secteur, le suivi post-opératoire est quasi aussi important que l'opération elle-même. Et lorsqu'on va se faire opérer à l'étranger, on en est forcément privé. »